Kiuna : une bougie d’allumage !

Par Laurie Guimond, professeure au département de géographie, UQAM

Le 22 et le 23 février 2018, à l’Institution Kiuna, localisé en territoire abénaquis à Odanak, c’est une vingtaine de diplômés et leurs enseignants qui ont révélé avec éloquence « l’expérience Kiuna ». Ils ont livré les riches parcours scolaires et sociaux des diplomés avant, pendant et après Kiuna. Une centaine de personnes étaient présentes, dont d’autres étudiants en voie d’obtenir leur diplôme d’études collégiales (DEC) de Kiuna, des acteurs d’institutions collégiales et universitaires, des représentants gouvernementaux, des dirigeants d’organismes, des journalistes…

Ces deux journées avaient pour objectifs de faire connaître les enjeux de l’éducation des Autochtones au Québec, notamment postsecondaire, tout en réfléchissant aux trajectoires solaires et sociales des diplômés de Kiuna. Il s’agit de l’unique institution postsecondaire au Québec conçue par et pour les Premières Nations. Ce collège offre un curriculum incarnant les valeurs, les connaissances, les théories, les philosophies, les approches et les méthodologies autochtones. Le contexte d’enseignement et le milieu de vie sont entièrement réfléchis et organisés en fonction des réalités culturelles et sociales des Premières Nations. Différents programmes sont offerts en français et en anglais : Sciences humaines – Premières Nations; Arts, lettres et communication – Premières Nations, profil langues des Premières Nations; Technique de communication dans les médias, option journalisme Premières Nations (en partenariat avec le Cégep de Jonquière). Depuis son ouverture en 2011, 76 étudiantes et étudiants ont obtenu leur DEC à Kiuna. Que sont-ils devenus depuis? Comment leur passage à Kiuna a-t-il marqué leurs parcours de vie et d’études? C’est au travers les récits intimistes des diplômés qu’il est possible de saisir pleinement le sens de l’«expérience Kiuna».

Finissantes et finissants de Kiuna

Tout d’abord, leurs parcours antérieurs à Kiuna sont hétéroclites, mais la plupart d’entre eux ont d’emblée bifurqué par des cégeps québécois conventionnels. Cette expérience dans une institution où ils ne se sont sentis « pas à leur place », « pas à l’aise », voire « seuls » et « anonymes » fut généralement non concluante : difficultés d’adaptation sociale et scolaire ; manque de soutien de la part des établissements d’accueil; perte de confiance en soi ; démotivation ; frustration ; sentiment de rejet… En est résulté l’abandon des cours et du programme et la diminution de la cote de rendement au collégial (cote R). Cela a engendré des effets délétères dans leurs cheminements académiques, notamment sur l’accès à du financement des Conseils de bande pour compléter leurs études, le nombre de sessions auquel ils peuvent être financés étant limité.

Les défis qu’ils ont connu dans d’autres institutions postsecondaires, mais aussi à Kiuna, concernent des problèmes d’ordre financiers, l’éloignement de la famille, la langue, l’adaptation à un nouveau mode de vie, les situations de couple ou familiales chamboulées par un retour aux études, les défis de faire participer les autres membres de la famille dans les activités scolaires (parents, grands-parents, fratrie, oncles et tantes…), notamment en raison des couts de transport élevés. Les diplomés et les gestionnaires de Kiuna ont insisté sur le fait que des moyens financiers limités nuisent à l’achèvement des études. Selon la directrice, Madame Prudence Hannis, en sept ans, une vingtaine d’étudiants qui réussissaient bien leur programme d’étude n’ont eu d’autre recours que de l’abandonner faute de financement. Les montants alloués par les Conseils de bande sont souvent insuffisants et non garantis car le nombre de demandeurs serait à la hausse, réduisant ainsi les chances d’obtenir un financement approprié, suffisant et pérenne.

C’est souvent par l’entremise d’un proche parent que les diplômés ont entendu parler de Kiuna. Dès leur arrivée à Kiuna, ils se sont considérés « chez eux », « en famille » et comme « quelqu’un d’important ». Ils expliquent s’y être « reconnu en tant qu’Innu, Atikamekw, Mohawk… ». Ils s’y sont sentis « normal » et « accepté » car ils n’ont pas éprouvé le besoin de justifier leur propre genèse et celle de leurs ancêtres. Au fil de leur cursus collégial et des amitiés qui s’y sont tissées, ils ont (re)découvert leur histoire, leur identité, leur culture, leurs récits, leurs parcours, les chemins de leurs ancêtres, leurs littératures… Ils ont appris à connaitre les réalités convergentes et divergentes entre les différentes Nations au Québec, au Canada et à l’étranger. Si, à Kiuna, ils ont acquis plusieurs savoirs, savoir-être et savoir-faire, il ressort clairement de leurs discours qu’ils ont quitté Kiuna grandis, fiers de qui ils sont en tant qu’individu, mais surtout en tant que Première Nation. Kiuna représente ainsi un terreau fertile de réappropriation, de renforcement, de valorisation et d’affirmation culturel et identitaire. Pour reprendre l’expression de Julien Vadeboncoeur, enseignant à Kiuna : «Kiuna, c’est une institution de savoirs, pour assurer le pouvoir des Autochtones ». Bien outillés et réseautés, les diplômés souhaitent œuvrer au mieux-être de leurs communautés respectives en tant qu’ambassadeurs et acteurs de changements exemplaires.

Pour ce faire, 90 % des diplômés de Kiuna se sont dirigés vers d’autres établissements collégiaux et universitaires. Le choix des universités s’est fait en fonction des programmes certes, mais également selon les services offerts visant spécifiquement la clientèle autochtone. Entre autres, les étudiants universitaires autochtones ont d’ailleurs mis l’accent sur l’importance de la présence de personnel de soutien et d’un véritable lieu de rassemblement sécurisant où ils peuvent s’épanouir au sein des universités allochtones, à l’instar de ce qui a été documenté à l’UQAM et ailleurs. En outre, l’expérience Kiuna demeure active tout au long des parcours postérieurs à la diplomation en raison des acquis académiques, personnels et sociaux qu’ils y ont développés et qui ont aiguisé leur confiance en soi. Ils sont restés en communication avec leurs enseignants et les autres professionnels de Kiuna qui aident à faciliter leur transition vers d’autres milieux académiques. Le dévouement de ces derniers a d’ailleurs été salué à maintes reprises pendant ces journées de réflexion.

En somme, l’Institution Kiuna est une bougie d’allumage de l’affirmation et de l’identité autochtones. En décolonisant pleinement l’éducation, Kiuna forme les leaders autochtones de demain. Les témoignages éloquents partagés lors de ces deux journées de réflexion n’ont qu’affirmé le rôle crucial de Kiuna et de son rayonnement au sein de l’éducation postsecondaire autochtone au Québec, au Canada et ailleurs sur la Grande Tortue.